CONCERT DU 25 AVRIL 2023
Par Pierre Dumonchau
Marie-Josèphe Jude : piano, Nicolas Baldeyrou : clarinette, Magalie Mosnier : flute, Vassilena Serafimova : percussions, Yann Dubost : contrebasse, Trio Zeliha et Quatuor Modigliani.
La programmation retenue par la direction artistique du Festival pour ce concert consacré à trois de nos compositeurs parmi les plus connus, offre au gré d’un parcours original, l’occasion de savourer dans toute sa diversité cet « esprit français » qui serait, dit-on, la marque de notre génie créateur.
– I –La Sonate pour piano et violon, dite « posthume », et le Trio de Maurice RAVEL
Comparé au catalogue de illustre aîné, Camille SAINT-SAÊNS, celui de RAVEL, qui vécut moins longtemps, est moins étoffé. Si déchets il peut y avoir, c’est chercher des poux dans la crinière d’un lion que de vouloir les relever tant ils sont rares et peu significatifs. Perfectionniste, scrupuleux, RAVEL était, lui, un génie, et s’il n’a pas, comme WAGNER, DEBUSSY ou STRAVINSKY, bouleversé les fondements de la musique, il a su trouver un langage neuf, raffiné, très personnel, identifiable dès les premières pages de jeunesse.
Telle nous apparaît la Sonate pour piano et violon en un mouvement, écrite en 1897, par un RAVEL encore élève du Conservatoire : c’est d’ailleurs entre ses murs qu’il la jouera, avec Georges ENESCO au violon, mais elle ne fut créée officiellement qu’en 1975, à New York, puis éditée à titre posthume à l’occasion de son centenaire.
On a pu faire reproche à RAVEL d’avoir « louché » vers les premiers mouvements des sonates de FAURÉ ou de FRANCK, mais c’est oublier qu’il leur doit cet équilibre exceptionnel entre les deux instruments, si difficile dans pareille configuration !
A défaut d’être le chef d’œuvre de sa musique de chambre, cette sonate de jeunesse, inventive et d’une grande fraîcheur, annonce le RAVEL bientôt affranchi d’Eric SATIE, Maître à penser de ses jeunes années qu’il évoquera plus tard : « Comme un sol fertile, propice à l’éclosion de fleurs rares dans lesquelles la graine peut s’épanouir ».
Avec l’unique Trio en la mineur, composé à Saint- Jean-de-Luz en 1914, nous sommes chez le RAVEL de la maturité : notés Moderato, Pantoum, Passacaille et Final-Animé, les quatre mouvements, d’une grande perfection formelle, sont indépendants, sans aucun thème commun.
Le Moderato initial, fortement imprégné du rythme de danse basque de la première mesure s’achève dans une sublime coda aux accents mystérieux.
Le deuxième, l’éblouissant Pantoum bâti sur trois thèmes essentiels et qui tient lieu de Scherzo, nous emmène loin de la côte basque, car, nous précise le musicologue F.R.Tranchefort : « Sa coupe inusitée fait référence à un type de déclaration chantée dans la poésie malaise ».
Après la Passacaille, à l’atmosphère plus grave, voire solennelle, nous retrouvons dans le Finale l’influence du folklore basque, avec un long thème, joyeux, qui fait la part belle au piano et confère à ce somptueux Trio une couleur à la fois violente et pittoresque.
– II – La Sonate pour clarinette et piano de Francis POULENC.
Inclassable POULENC ! Fasciné par STRAVINSKY, il ne jure que par MOZART et ne cèdera jamais aux « tics » de ses contemporains. Bourgeois cultivé qui vécut dans l’aisance les heures insouciantes de l’entre deux guerres, compositeur autodidacte et pianiste talentueux, il était musicien dans l’âme, doté d’un instinct infaillible qui lui permit de trouver d’emblée son style : comme RAVEL, il est inimitable.
« Moine et voyou », disait-il de lui, assumant la dualité d‘une nature complexe alliant un mysticisme sincère à la recherche souvent trouble d’un bonheur qui ne voudra jamais de lui malgré sa renommée : parcourir sa correspondance permet de mesurer la douleur, le désespoir aussi, qui furent, et de loin, ses compagnons les plus fidèles.
Son unique Sonate pour clarinette et piano en trois mouvements écrite en 1962, en est la poignante illustration, à la fois pathétique et moqueuse, grave et souriante.
Signe tardif de son retour aux instruments à vent, qui lui convenaient mieux que les cordes, elle déroule un Allegro tristamente empreint d’une poésie sereine et doucement triste, suivi d’un mouvement lent, noté ici Romanza , mélancolique et plein de charme, avec une pointe d’amertume faussement désinvolte.
L’ Allegro final renoue avec la gouaille des guinguettes de Nogent, familières de notre musicien : la clarinette tire la langue et conclue avec une fougue un rien « canaille » …
Compte tenu des commentaires précédents, nul ne s’étonnera de l’intrusion pour le moins décalée du célèbre refrain de la chanson popularisée par Maurice CHEVALIER : « Je cherche après Titine, Titine oh ! ma Titine ! »
C’est aussi du POULENC, l’auteur du sublime « Dialogue des Carmélites ! »
– III – Le Carnaval des Animaux, sous-titré Grande Fantaisie Zoologique
Né en 1835, mort en 1921, Camille SAINT– SAËNS est un cas unique dans la musique française. Plus précoce que MOZART, pianiste virtuose de renom – malgré un toucher réputé sec – curieux de tout et jamais lassé de rien, il laisse après soixante dix ans de création un catalogue considérable dans tous les genres de la musique occidentale. Le meilleur lui permet de frôler le génie, mais l’image discutable du compositeur conservateur, bardé de décorations, un rien acariâtre, lui survivra…
Et pourtant, ce surdoué que l’on a brocardé autant qu’encensé, ne manquait ni d’humour ni de lucidité. Les animaux lui inspireront un petit chef d’œuvre de poésie, de tendresse et d’orchestration, occasion malicieuse et cocasse de se moquer de lui…et de quelques autres : soucieux de ne faire de peine à personne, le bienveillant Camille avait émis le vœu que ce « Carnaval » créé en 1886 chez la cantatrice Pauline VIARDOT à l’intention de son ami Franz LISZT, ne soit pas porté à la connaissance du public !
Ce qui explique les premières exécutions publiques en 1922, donc posthumes.
Quatorze pièces se succèdent en moins de vingt minutes pour évoquer une ménagerie hétéroclite où poules et coqs défilent en compagnie d’un éléphant, de tortues, d’ânes sauvages du Tibet, de kangourous, sans oublier le coucou au fond des bois et autres volatiles ; ironie suprême, s’y joignent deux pianistes turbulents et maladroits, à en juger par les fausses notes qui émaillent la partition entre deux gammes laborieuses !
Le défilé général de la ménagerie s’effectue sur un rondo au rythme allègre.
Visiblement SAINT-SAËNS s’est beaucoup amusé en parodiant RAMEAU, OFFENBACH, BERLIOZ et MENDELSSOHN, mais il a su, dans cette joyeuse galerie animalière, glisser dans l’avant-dernière pièce, ce qu’il a appelé « une noble bêtise », qui n’est autre que le fameux « cygne », universellement connu, maintes fois transcrit et qui a séduit nombre de chorégraphes : comment résister au charme enveloppant de cette capiteuse mélodie confiée au violoncelle, que MASSENET aurait peut-être bien aimé écrire, qui sait ?
Il est important de noter enfin que cette « Fantaisie Zoologique » est contemporaine de la splendide 3e Symphonie avec orgue en ut mineur, sommet qui témoigne d’un remarquable talent de compositeur quand l’inspiration, chez lui capricieuse, voulait bien s’inviter…Dès lors on ne peut qu’admirer la surprenante faculté qu’il eut de pouvoir livrer au cours de la même période deux partitions aussi antinomiques et si réussies.
Et puis, que SAINT-SAËNS, ce vieux monsieur suspecté d’académisme, nous fasse rire encore cent ans plus tard, n’est-ce-pas un délicieux pied de nez à ses détracteurs ?