Présentation des œuvres jouées

           Diana TISHCHENKO, violon

           Frank BRALEY, piano

 

« Le violon dans tous ses états… », pourrait – on écrire pour présenter ce concert qui, de TARTINI à RAVEL en passant par BEETHOVEN et SCHUBERT, offre dans l’ordre chronologique, deux siècles durant, un panorama captivant des possibilités expressives du violon.

Si le Diable, selon TARTINI lui -même, a pu se glisser dans la composition de sa sonate la plus célèbre, n’aurait-il pas un rien tenu la main de RAVEL lorsque celui-ci entreprit, il y a tout juste cent ans, en avril 1924, l’ébouriffante rhapsodie de concert baptisée Tzigane, redoutée des solistes et dont le succès n’a jamais faibli ?

Entre ces deux  « classiques » du répertoire virtuose, nous pourrons savourer les dialogues allègres, charmeurs ou mélancoliques irriguant la sonate pour violon et piano dite Le Printemps et l’Arpegionne dans sa transcription pour violon.

Sonate en sol mineur dite « Le Trille du Diable » de G.TARTINI

A elle seule, cette sonate aura permis à TARTINI de ne pas sombrer dans l’oubli et de voir son nom de temps à autre figurer dans les programmes de musique de chambre.

Tant mieux pour les mélomanes et interprètes, mais combien regrettable est la couche de poussière recouvrant la quasi totalité d’un catalogue pléthorique, avec cent trente cinq sonates pour violon, autant de concertos et une quarantaine de sonates en trio et bien d’autres pièces, dont une grande partie reste inédite !

Mais revenons au Diable : rien n’indique sa présence maléfique à l’écoute du larghetto affetuoso initial confié au violon qui déploie une ample et délicate mélodie, préfigurant celles de BOCCHERINI et, plus tard encore, d’un certain BELLINI, ces Italiens dont le bel canto  trouvera un accomplissement inattendu au piano sous la plume d’un slave, CHOPIN, qui leur est quelque peu redevable, entre autres, de sa miraculeuse Barcarolle op.60 !

La cantilène enchanteresse cédera la place à un tempo giusto  en deux parties, plus nerveux et annonciateur d’élans virtuoses, propres à mettre en valeur le – ou la – soliste dont l’allegro finale mettra les doigts à rude épreuve, avec ce trille d’une difficulté « diabolique » vibrant sans pitié au dessus des ultimes et brillantes mesures.

Sonate en fa majeur, dite « Le Printemps », op.24 de L.V. BEETHOVEN 

Le titre de la sonate ne doit rien à son auteur puisqu’il figure dans une édition postérieure à son décès, mais qui l’a proposé ne s’est pas trompé tant cet op. 24 est rempli d’allégresse et de joie de vivre.

Achevée en 1801, elle trouve en fait son origine dans de plus anciennes esquisses datant des années 1794/95, ce qui explique ce parfum encore mozartien qui lui confère un charme d’autant plus émouvant qu’en 1801, lorsqu’il la fait éditer, BEETHOVEN se sait condamné à l’infirmité : rien ici ne laisse présager les futurs combats contre l’adversité.

C’est au violon qu’est dévolue la longue phrase sinueuse et souple, véritable « marqueur » de la sonate, qui ouvre l’allegro initial. Pur moment de grâce, sans maniérisme aucun, qui s’imprime naturellement dans la mémoire et réapparaîtra dans la coda, au terme d’un dialogue animé entre les deux partenaires : l’énergie rythmique propre au compositeur n’en est pas pour autant absente, pas plus que les contrastes de dynamique, et le mouvement s’achève sur de puissants accords d’une ampleur triomphale.

L’adagio molto espressivo qui suit, monothématique, se déroule la encore sous l’ombre amicale de MOZART : chanté alternativement par les deux instruments, ce thème apparenté à un lied, sorte de rêverie heureuse au ton confidentiel, va progressivement s’émietter pour disparaître dans l’étrange scintillement des trémolos conclusifs.

Très bref, le 3e mouvement, un scherzo marqué « allegro molto », est d’une toute autre nature : BEETHOVEN s’y révèle joueur, n’hésitant pas à manier l’humour avec de subtils contretemps entre violon et piano dont l’effet syncopé ne manque pas de surprendre.

Le rondo final, « allegro ma non troppo », le plus original des quatre, est bien plus développé et plonge l’auditeur dans un climat d’insouciance joyeuse, au gré d’une inspiration s’exprimant sans contrainte, sinon celle de faire plaisir au public autant qu’aux interprètes.

Ultime clin d’œil d’un génie à l’adresse de son aîné, BEETHOVEN a bâti cet exubérant rondo sur un thème de …MOZART, encore lui, tiré de l’opera seria La Clémence de Titus !

Sonate pour arpegionne et piano D 820 de F.SCHUBERT 

Œuvre de circonstance, écrite en 1824 à la demande de Georg STAUFER, un luthier viennois soucieux de promouvoir l’instrument de son invention, cette sonate n’est pas la plus captivante qui soit sortie de la plume de SCHUBERT. Mais si l’arpegionne n’a pas fait carrière, la sonate qui lui fut dédiée n’a pas quitté le répertoire depuis son édition en 1871 : le génie du compositeur a sauvé de l’oubli cet hybride de violoncelle et de guitare (muni de six cordes) à l’existence éphémère, pourtant doté d’une sonorité chaleureuse.

Malgré la contrainte de la commande nous devons en effet à SCHUBERT une partition généreuse en séductions mélodiques et en contrastes thématiques, dans cette tonalité de la mineur qui lui convenait si bien.

L’allegro moderato initial baigne dans un climat désenchanté, avec un thème mélancolique confié au piano, que reprendra le violoncelle pour énoncer le second thème, plus vif.

L’adagio, en deuxième position, est en mi majeur. Bref mais très émouvant il confie au violoncelle une ligne mélodique calme et chantante que le piano accompagne discrètement de ces très délicats glissements harmoniques si fréquents chez le compositeur.

Dans le souriant allegretto finale en la majeur, c’est au violoncelle qu’appartient d’énoncer les thèmes, le piano restant en retrait, simple accompagnateur : n’oublions pas qu’il s’agit d’une sonate pour « arpegionne et piano » destinée à mettre en valeur le dit instrument…

Tzigane, rhapsodie de concert pour violon et piano de M.RAVEL

On associe trop souvent à RAVEL le cliché de « l’horloger suisse » amoureux du détail et perfectionniste au possible : il y a du vrai dans ce raccourci, mais c’est occulter l’originalité d’un génie aux multiples facettes. Ce magicien est aussi un conteur capable de nous emmener dans les contrées les plus lointaines, parfois les plus étranges.

Cheval de bataille des violonistes, Tzigane est le résultat d’une promesse faite par RAVEL à BARTOK – rencontré à Paris en 1922- d’écrire pour une jeune virtuose de leur relation, « Un petit morceau dont la difficulté diabolique fera revivre la Hongrie de mes rêves », ajoutant « et puisque ce sera du violon, pourquoi ne pas l’appeler Tzigane ? ».

Le long solo qui ouvre la partition, charmeur et grinçant, truffé de pizzicati, glissandi et autres doubles cordes donne un avant goût des pyrotechnies à venir, mais au delà de la prouesse, gage évident de succès, on ne peut échapper à la sauvagerie des rythmes, à la rugosité des attaques, à cette atmosphère dramatique si souvent présente dans d’autres partitions de plus grande envergure, telles que La Valse, le Boléro ou le Concerto pour la main gauche. Si brève soit-elle, cette page, que RAVEL orchestrera par la suite, est une réussite et le grandioso des dernières mesures déferle comme une délivrance.

Le 16 octobre1924, dans une lettre à Francis POULENC, le compositeur Henry SAUGUET écrivait : « Je fus hier au festival de RAVEL pour entendre Tzigane …C’est mauvais et bien peu captivant…Gros succès, bien entendu, auprès des dames en binocles et messieurs bedonnants … Je comprends de plus en plus que RAVEL n’aime guère la musique d’aujourd’hui. Il doit l’aimer aussi peu que nous aimons celle qu’il fait maintenant »Errare humanum est ! Mais qui se passionne de nos jours pour SAUGUET ?

Pour s’autoriser à tancer un génie, mieux vaut en avoir soi-même, si peu que ce soit…

Pierre Dumonchau